HOMELIE DU PREMIER DIMANCHE DE L’AVENT ANNEE C
Bien aimés du Seigneur, fils et filles de Dieu, je voudrais d’entrée vous souhaiter une bonne et heureuse année C de l’Eglise catholique. Le père Moise SOKEGBE hier, par les offices mettait un terme à l’année B et me passe le témoin depuis les vêpres solennelles du samedi soir. Je prends le témoin en rendant avec tous les autres pères un vibrant hommage empreint de déférence à notre ainé le père SEGNIHO Dorothée présent parmi nous. Nous rendons grâce à Dieu avec lui pour cette année où il fête ses 40 ans de sacerdoce.
Nous concevons naturellement le temps de l’avent comme le temps de la préparation pour l’accueil du Verbe dans la chair humaine. Je pense qu’il y a aussi lieu de contempler les textes de ce jour quand ils mettent le focus sur les différentes attentes. Nous parlons habituellement des deux avènements du Christ, son avènement dans la chair humaine, son avènement définitif quand il remettra tout entre les mains de son Père. Mais nous pourrions aussi parler de son avènement quotidien dans nos coeurs.
Dans l’attente du premier avènement, je pense que nous célébrons la concertation de Dieu dans son intimité, comme ontologie divine, où Dieu se décide d’envoyer son fils à l’humanité désespérée parce que privée de Dieu. En réalité, il s’agit de cette attente des prophètes des patriarches, des rois, des juges etc… tout ce monde qui aspire à un bonheur que donnera le messie. Et la première lecture le dit si bien. Voici venir des jours où j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et de Juda. La promesse que Dieu a faite se réalisera. On peut se réjouir et se fonder sur cette promesse pour tenir bon dans notre vie chrétienne. Le Messie descendant de David est vue comme un germe, symbole de la vie qui triomphe, vie pleine d’équité et de justice. C’est par les promesses que nous sommes mis en mouvement et celles de Dieu se réalisent obligatoirement.
Il se trouve aussi un trait caractéristique de cette attente. Dans cet envoi du Fils par le Père, le Fils demeure Fils de toute éternité. Et ce qui parait évident est que sa venue dans l’économie rédemptrice dépend de son Père qui envoie son Fils et l’Esprit du Fils par qui le Verbe prend chair. Le Christ lui-même affirmera ailleurs : « Je ne suis pas venu de moi-même ». En effet, la venue du Christ définit conséquemment sa nature de Fils dépendant. Cette venue du Christ bien qu’il soit Dieu égal au Père et au Fils, le précède et l’englobe lui-même dans son arrivage à titre d’avenant. L’attente de la figure d’un dépend, le Christ, projette ainsi nos attentes dans l’imprévisibilité qui fausse nos calculs prévisionnels. Nous apprenons donc de cette venue du Christ comment le chrétien s’en remet à Dieu qui nourrit nos attentes et en dispose quelle qu’en soit la forme. Le temps de l’attente pendant l’Avent est un temps d’apprentissage de la dépendance des chrétiens par rapport au Christ. L’attente du devenir homme de Dieu devient donc une attente du devenir Dieu de l’homme possible dans l’axe de dépendance humaine car dans cette attente du Christ déjà venu, nous attendons notre gloire.
En outre, dans ce premier avènement où le Christ est venu dans notre chair, notre attente actuelle comme on l’a dit, anticipe la venue présente et quotidienne du Christ dans nos vies chrétiennes puisque ce fut déjà réalisée la venue du Verbe dans l’humanité comme son insertion dans ce qu’il a lui-même crée. La conclusion du paragraphe précédent laisse cependant comprendre que la venue dans la chair du Christ transcende l’établissement du messianisme traditionnel dont les attributs favorisent le règne de justice, du droit et de l’équité. La fixation de cette titulature attributive de Jésus comme un rejeton, un germe, dans la filiation davidique, le présente comme un « petit ». Mais il se cache déjà quelque chose dans cette petitesse. Il se cache la sainteté et l’amour d’un grand roi qui nous conduit ailleurs dans sa cité céleste. En réalité, la venue dans la chair du Christ pousse plus loin son caractère messianique. La réalisation parfaite de ce dernier est dans l’au-delà eschatologique dont paradoxalement la venue du Christ la présentifie dans l’économie du salut. L’expression du Fils de l’homme est en effet tenue dans l’évangile de Luc pour nous montrer que tant l’attente de l’avènement du Verbe dans la chair que l’attente comme présence quotidienne du Christ en nous, aboutissent au retour définitif du Christ, à sa gloire messianique lors de sa seconde venue comme le fils de l’homme daniélique venant dans la nuée. Saint Paul le dit aussi dans la deuxième lecture de ce jour : « Qu’il affermisse vos coeurs en les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen ». En effet, le temps de l’attente de la venue du Christ dans l’humanité suppose une évolution dans la considération messianique de Jésus. Il n’a donc pas seulement un titre messianique politique et révolutionnaire. Son existence historique ne prouve pas uniquement une messianité séculière, il s’y ajoute la dimension parousiaque et eschatologique. Parlant de cet avènement définitif du Christ lors de son retour et qui éclaire son avènement dans la chair et son avènement quotidien en nous, nous pourrions en relever trois formes.
Dans la logique lucanienne, on voit clairement que cet avènement définitif du Christ semble retardé mais Luc nous avertit de nous tenir sur nos gardes. Les analyses de l’apocalypse synoptique (Marc 13, Mathieu 24, Luc 21) nous aide à comprendre que cet avènement
définitif du Christ semble par ailleurs plus proche selon l’évangile de Mathieu. Ce dernier voyait en effet que la destruction de Jérusalem allait précipiter la venue immédiate et définitive du Christ. Conséquemment, certains évènements macabres sociaux, politiques et mêmes ecclésiaux aujourd’hui devraient attirer notre attention comme une alerte parousiaque de Dieu. Par ailleurs cette venue définitive du Christ peut être perçue comme une anticipation individuelle de la parousie glorieuse comme venue invisible de Dieu et comme son appel. Il s’agit donc de la mort de tout un chacun de nous. Nous devons donc veiller et prier pour ne pas être surpris par cette venue. Toutefois, au regard de ces formes de parousies si l’on peut le dire ainsi, l’Evangéliste Luc nous redonne confiance. La parousie ne doit pas être comprise comme la fin du monde. C’est la présence rédemptrice de Dieu à toutes les heures du monde. C’est l’amour de Dieu qui va jusqu’au bout. L’amour est plus fort que la mort. On doit l’attendre, veiller et prier. Le « Redressez la tête » dans l’Evangile lucanien est le cadre de l’assurance des chrétiens qui doivent se réjouir, sûr que l’époux les accueillera les bras ouverts parce qu’ils ressentent une joie de leur salut, de leur rédemption qui est proche.
Trois voix essentielles en outre, peuvent nous aider à vivre de cette attente : l’amour de l’Amour, l’amour de la prière et l’amour de la vigilance. En effet, Paul prie pour que Dieu affermisse et rendre irréprochables les coeurs des Thessaloniciens lors de la venue de notre Seigneur et qu’il les amène à vivre entre eux et à l’égard de tous, un amour de plus en plus intense et débordant. L’expression grecque utilisée est l’Agapè qui renvoie à l’Amour suprême de Dieu. Ici Paul en fait pourtant usage pour montrer l’importance de l’amour fraternel et de la bienveillance dans les rapports intersubjectifs. C’est une manière de dire que cette affection fraternelle doit tendre vers l’amour Agapè. L’Amour débordant est donc l’Amour agapè de Dieu agissant dans les coeurs. Toute personne est ainsi aimée non à cause de sa façon de faire qui nous enchante mais à cause du Seigneur. On « aime la personne qui nous fait du mal en haïssant le mal ». Je ne voudrais pas étendre la réflexion sur l’essence de l’amour chrétien qui devrait être sans réciprocité du fait que le Christ nous demande d’aimer même nos ennemis. Un autre espace de méditation permettrait d’en voir la nécessité de compréhension pour les chrétiens. Ici cet amour débordant et intense peut être compris comme un amour qui « pète la forme » comme aime le dit un ami, le Père Blaise AKPOLI, bibliste. On pourrait même parler d’un « amour obèse » quoique l’obésité soit un mal. L’idée est de montrer comment le chrétien est appelé à « gonfler son amour » (pas pour parler d’un désir de possession ou d’un amour orgueilleux), à se donner pleinement et à fond aux autres comme le Christ l’a fait. Cet amour de l’Amour de Dieu conditionne l’amour fraternel appelé en réponse à l’incarner. L’amour débordant et intense c’est une manière de rejoindre et d’atteindre l’Amour de Dieu. Autant viser cela par de petits efforts quotidiens. D’ailleurs, l’Apôtre Paul encourage les Thessaloniciens, tout en visant cet amour débordant, à progresser dans le bien, à faire de nouveaux efforts. L’amour de l’Amour tout comme l’amour de la prière appelle cette évolution dans le concret.
L’amour de la prière s’inscrit dans les traits de ce moment d’attente au regard de l’insistance injonctive du Christ. « Veuillez et priez ». Je voudrais que nous comprenions que ce temps de l’attente peut constituer aussi pour les chrétiens le cadre de la mesure des efforts fournis à la suite du Christ. Ce temps est certes un temps de conversion, comme le rappelle le Psaume du jour : « Seigneur montre-moi tes chemins…Il est droit, il est bon, le Seigneur, lui qui montre aux pécheurs le chemin ». Cependant, il serait bon que nous mesurions les pas faits dans la bonne direction avec la grâce du Seigneur et fassions de nouveaux progrès pendant ce temps d’attente. L’amour de la prière suppose ici de courir vers le but, d’avancer dans le bon sens. Parlant de la prière, on pourrait penser à la croissance spirituelle de chacun de nous.
En effet des mystiques parlent des commençants, des progressants et des parfaits. Les commençants font l’effort de sortir de la boue du péché par la voie purgative, les progressants recherchent les vertus pour progresser vers Dieu par la voie illuminative, les parfaits sont unis par la prière à Dieu par la voie unitive. Ces trois étapes du progrès ou de la croissance spirituelle ont un lien imparable et visent la sainteté en Dieu. Il s’agit d’une croissance spirituelle qui suppose aussi une spiritualité incarnée car la prière doit instiguer une transformation du chrétien, un changement comme conversion mais aussi comme nouvelle étape, comme progression dans le bien et dans la vigilance.
L’amour de la vigilance se saisit quant à lui comme une mise en conditionnement de l’être chrétien appelé à acérer dans le progrès son attache au Christ. Cette attente vigilante est mue par l’espérance de la gloire éternelle. Une vigilance qui traduit la ferveur dans l’attente comme celle des dix vierges prêtes à rencontrer l’époux avec leurs lampes allumées (cf. Mt 25, 1-13).
La vie chrétienne est dynamique et suppose la croissance dans l’amour de Dieu et du prochain, la croissance dans la prière, la croissance dans la vigilance à laquelle conduit l’espérance de la sainteté.
Père BOKOSSA Jésugnon Damien