« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : aimez vos ennemis (…) » Lc 6, 27
Chers frères et sœurs,
L’évangile de ce jour est saturé d’injonctions (13) et d’interdictions (4). A cela s’ajoute un triple élément de comparaison avec les païens, avec une invitation à peine voilée à avoir des comportements meilleurs que les leurs, sans quoi être disciple de Jésus ne servirait à rien. C’est du moins ce que laisse entendre cette interrogation répétée mot pour mot à 3 reprises : « Quelle récompense aurez-vous ? » Oui, quelle récompense aurez-vous, insiste Jésus, si vous aimez ceux qui vous aiment, si vous faites du bien à ceux qui vous en font, ou encore si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour ?
En excellent pédagogue, Jésus répète et insiste, il fait réfléchir en interrogeant. Dans la relation éducative, aujourd’hui plus qu’hier, tout silence de complaisance et tout laisser aller au nom de la liberté peuvent s’avérer dangereux et dommageables pour les sujets en éducation et par suite pour les familles et la société. Jésus nous donne l’exemple de la parole ferme au risque de déplaire voire d’être mal compris par son auditoire. Mais dans un auditoire, tous ne sont pas des écoutants ou à tout le moins, pas de bons écoutants. Peut-être est-ce pour cela que Jésus affirme d’entrée : «Je vous le dis, à vous qui m’écoutez»? Cette précision vaut la peine que l’on s’y attarde un peu. Mais avant cela, il sied d’essayer d’élucider, du moins, d’approcher une zone d’ombre, celle concernant la récompense. A ce sujet Jésus semble recommander d’un côté, ce qu’il interdit de l’autre : le do-ut-des c’est-à-dire le donnant donnant qu’il semble caractériser comme proprement païen. Pourtant dans les relations avec Dieu, ce principe semble de mise. Dans l’évangile selon Saint Matthieu, il est indiqué, nous allons encore l’entendre très prochainement le mercredi des Cendres , l’invitation à pratiquer le jeûne, la prière et l’aumône dans la discrétion, afin d’être récompensé par le Père céleste (cf Mt 6). Notre évangile d’aujourd’hui ne fait donc pas mieux en insinuant que la générosité non calculée et désintéressée dans nos rapports humains garantit la récompense accordée par Dieu. Nous ne suivrions le Christ qu’en espérant en retour une récompense ? N’est-ce pas alors, ni plus ni moins, une manière païenne de pratiquer la religion ? Donner, faire du bien, n’est-ce pas alors une manière d’endetter Dieu qui devra nous le rendre un jour ? Ne suivrions-nous le Christ que pour les récompenses qu’il nous promet ?: L’évangile affirme en effet : « celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19, 29)
Finalement nous n’obéirions à l’Evangile (y compris en aimant nos ennemis et en tendant l’autre joue à celui qui nous gifle ) que grâce à la certitude intéressée de recevoir de Dieu la récompense pour nos privations, pour les désagréments et les persécutions subis, pour les générosités consenties ? C’est comme dire par ailleurs que Dieu ferait le tri de ses créatures pour récompenser les plus méritantes et punir les autres ? La possibilité d’élucider ces questions, on le voit, excède le cadre de cette homélie. Les poser, en revanche, a au moins le mérite de susciter en nous la méditation pour interroger davantage la qualité de notre foi, la qualité de notre relation avec le Seigneur.
Notre foi, notre vie spirituelle n’acquiert pureté, authenticité et profondeur que par l’effort de nous dessaisir de notre égo terreux, pour ainsi dire de «l’humain trop humain» en nous, c’est-à-dire de l’être adamique dont la peccabilité réside justement dans le défaut d’écoute et d’observance à la Parole du Créateur. Dieu ne privilégie pas certains par rapport à d’autres, pas même Celle qui a porté le Sauveur en son sein. A fortiori, être chrétien, religieuse, séminariste ou prêtre, même s’il s’agit d’une mise à part en vue d’une vocation et d’une mission à accomplir, ne nous installe pas sur un piédestal de privilégiés qui risqueraient de regarder les autres de haut. Voilà pourquoi, à la femme qui un jour en l’entendant parler, s’exclama, pleine d’admiration: « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! », Jésus répondit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent » (Lc 11, 27.28).
Si la Parole de Dieu peut être dure à entendre et davantage difficile à mettre en pratique, c’est pourtant en cela que réside notre salut et notre bonheur véritable. «Je vous le dis, à vous qui m’écoutez…» Qui sont donc ceux qui écoutent le Seigneur, si ce n’est ceux qui entrent dans cette dimension nouvelle de la sagesse divine qui s’avère folie aux yeux des hommes, et de la puissance divine qui est faiblesse aux yeux des hommes (cf 1 CO, 1, 25)? Telle est la sagesse dont a fait preuve le jeune David dans la première lecture de ce jour (cf 1 S 26) : épargner la vie de celui-là même qui cherchait à se débarrasser de lui comme d’un encombrant rival. On peut dire que David était chrétien avant l’heure, car être chrétien, c’est moins une question de dénomination, de pratique sacramentelle rituelle, c’est au-delà de la lettre et de la règle, un esprit universel qui transcende, pour ainsi dire, les cultures, les religions, les époques et et les lieux. L’on n’est pas de façon véritable et authentique, chrétien, chrétienne, pas plus qu’on n’est véritablement et authentiquement séminariste, religieuse ou prêtre, si l’on n’écoute pas le Seigneur, aussi difficiles que soient ses paroles, telles celles de l’évangile de ce jour. Écouter nous fait devenir en effet enfants de Dieu , comme le dit le prologue johannique : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom». Et saint Jean précise : «Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.» (cf Jn 1, 12.13). Aujourd’hui ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la Voix du Père, laissons-nous engendrer par l’Esprit du Fils: ce n’est qu’en vivant de l’Esprit, en Lui et par Lui que nous seront capables, comme dit saint Paul aux corinthiens, de passer de l’être adamiqe, simple vivant fragile et peccable, à l’être chrétien qui est l’être spirituel, le Saint et le Miséricordieux. En quoi pouvons-nous essayer de l’imiter aujourd’hui, demain, dans notre vie de tous les jours, ne serait-ce qu’en nous efforçant de choisir et de chercher à mettre en pratique une quelconque des paroles qu’il nous donne dans l’évangile de ce jour? Aujourdhui écouterons-nous sa Parole ?
Daigne le Seigneur lui-même nous donner l’audace et le courage de l’imiter pour la paix et le bonheur dans nos vies et dans celle du monde, amen !