JOURNÉE PÉDAGOGIQUE: LANCEMENT DES ACTIVITÉS INTELLECTUELLES DE LA RENTRÉE ACADÉMIQUE 2019-2020 AU PHILOSOPHAT SAINT PAUL DE DJIME

0
1415

Mots d’ouverture du Père Directeur des Études

Bien chers pères,

Chers amis séminaristes

La direction des études dont j’ai reçu la charge est heureuse, après la fondation spirituelle posée par la retraite de début d’année, d’inaugurer en ce jour les activités de la dimension intellectuelle de la formation en cette institution ecclésiale. Au plan académique, chers amis séminaristes, vous respirerez à pleins poumons le suave parfum de la philosophie. Discipline barbare pour les uns, élucubration infructueuse et donc inutile pour les autres, elle se trouve souvent exposée au rejet ou au mépris. Vision erronée que contredit au moins la joie de vos formateurs à vous transmettre les fondamentaux de l’art de la pensée, puisque c’est de cela qu’il s’agit.

Chers amis séminaristes, et surtout vous les nouveaux en ce séminaire, que tombent toutes vos appréhensions sur la philosophie ou ce que vous imaginez l’être. Faire la philosophie ce n’est pas d’abord ingurgiter de façon indigeste concepts, doctrines et auteurs philosophiques. Ces éléments, pour nécessaires qu’ils soient, ne constituent que des moyens pour atteindre le but ultime de la philosophie qui, à notre avis, est l’art de structurer sa propre pensée afin de parvenir à la vérité. « Oser penser par soi-même » ou plus exactement en formule injonctive « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! »[1] dirait Kant, reprenant à Horace dans ses Épitres sa célèbre formule « sapere aude »[2].

L’exercice est d’autant plus indispensable qu’absence de pensée rime avec perte du monde. Oui chers amis, ce n’est ni science ni l’économie qui sauveront le monde mais la philosophie – je ne parle évidemment pas ici d’un salut transcendant et éternel mais de félicité terrestre. Si la pensée définit ontologiquement l’homme comme l’a perçu d’une certaine façon Descartes avec son « cogito ergo sum », Hannah Arendt a raison de voir dans l’absence de la pensée à la fois l’absence d’humanité, la banalité du mal, et par conséquent la perte du monde, car elle décèle le lien sublime entre pensée et morale. D’où il appert qu’en définitive philosopher c’est simplement apprendre à bien vivre, conception qui parcourt déjà de part en part la philosophie en son berceau antique. Ainsi comprise, la philosophie n’est donc pas seulement indispensable à tout homme mais aussi à celui qui veut apprendre à mieux connaitre Dieu afin de l’aimer et de le servir.

Les études théologiques auxquelles vous aspirez ne seront pleinement accessibles que moyennant des assises philosophiques solides. Le décret de Réforme des études ecclésiastiques en philosophie ne récite-t-il pas clairement au numéro 9 :

La philosophie est indispensable pour la formation théologique : “la théologie a toujours eu et continue à avoir besoin de l’apport philosophique”. Facilitant l’approfondissement de la Parole révélée de Dieu en son caractère de vérité transcendante et universelle, elle évite de s’arrêter au plan de la seule expérience religieuse. Ainsi qu’on l’a justement observé, “la crise de la théologie postconciliaire est, dans une large mesure, la crise de ses fondements philosophiques […]. Quand les fondements philosophiques ne sont pas clarifiés, le sol se dérobe sous les pieds de la théologie. En effet, il n’apparaît plus alors avec clarté le point jusqu’où l’homme connaît vraiment le réel, et quels sont les fondements à partir desquels lui-même peut penser et parler”.[3]

Pour donc espérer faire de profitables études théologiques à l’avenir, il vous faut asseoir une bonne base philosophique. Dès lors, faire la philosophie n’est donc plus pour vous seulement une étape académique qu’il faut traverser en glanant quelques rudiments et incantations philosophiques ou une corvée à subir comme une servitude nécessaire au sacerdoce, mais un creuset de compréhension du monde dans toute son étendue et un vivier de formation de la pensée, de la pensée critique, de la pensée autonome, afin de ne point penser par procuration.

En clair votre passage dans cette institution philosophique doit faire de vous des hommes avant de faire de vous des prêtres. C’est pourquoi les études philosophiques en cette maison prennent une orientation diversifiée, depuis la recherche des fondements par la métaphysique, la recherche de la rigueur de pensée par la logique et la méthodologie, jusqu’à l’être-au-monde de l’homme (anthropologie, éthique, politique, épistémologie, etc.). Bref vos formateurs résidents et externes, dont la disponibilité concurrence la compétence, ne ménageront aucun effort pour transmettre non seulement le savoir mais aussi le savoir-être qui naît du savoir-penser.

Tout bon départ prend sens dans la connaissance de l’objectif à atteindre afin de ne point subir l’errance. A la suite de Pastores Dabo vobis (n° 52), la nouvelle Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis rappelle cet objectif en ces termes :

L’étude de la philosophie « conduit à une compréhension et à une interprétation plus profonde de la personne, de sa liberté, de ses relations avec le monde et avec Dieu. […] On ne doit pas minimiser l’importance de la philosophie, qui permet de garantir la “certitude de la vérité” qui, seule, peut être à la base du don total de la personne à Jésus et à l’Église »[4]

Chers amis, il y a beaucoup de bonheur à penser. Je vous souhaite de découvrir ce bonheur et de vous y délecter tout au long de cette année, et tout au long de votre formation, à la suite des aînés comme le professeur MEDEGNON que je remercie vivement d’être avec nous ce matin. Sa présence se justifie par le fait qu’en toute grande université, les activités académiques sont souvent lancées par une conférence ou plus exactement une leçon inaugurale commune à toute la faculté avant que chaque classe ne se dédie à ses cours respectifs. C’est donc cette leçon inaugurale que nous dispensera le Professeur que je vous prie d’accueillir.

                                                      Père Aurel AVOCETIEN, Directeur des Etudes

[1] E. KANT, Qu’est-ce que les Lumières ?,

[2] HORACE, Epitres, I, 2, 40.

[3] CONGREGATION POUR L’EDUCATION CATHOLIQUE, Décret de Réforme des études ecclésiastiques en philosophie (28 Janvier 2009), n° 9.

[4] CONGREGATION POUR LE CLERGE, Le don de la vocation presbytérale. Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (8 décembre 2016), n° 158.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here