Homélie du P. Roland TECHOU pour le 33ème dimanche ordinaire de l’année C

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« N’y allez pas » !

« Ne marchez pas à leur suite »

« Ne les suivez pas » !

Frères et Sœurs en Christ,

Suivant la version de la Bible ou de la traduction liturgique, l’injonction du Christ en cette veille de la fête du Christ-Roi est unique : « N’y allez pas » ; ne suivez pas les tollés, éloignez-vous des agitateurs de foule.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Un esprit critique pourrait déjà voir dans les processions de la fête du Christ-Roi une invite à ne pas limiter la gloire de Dieu en Jésus-Christ que la connaissance humaine cherche à magnifier en un culte de l’ostentatoire.

Même si c’est mon opinion, je dois attirer votre attention sur le fait que dans le christianisme catholique la gloire de Dieu est synonyme de la Croix du Christ. La toute-puissance de Dieu que nous récitions dans le Credo et que nous chantons dans le Gloria n’a de sens que parce qu’elle débouche sur l’Eucharistie, Pain rompu pour un monde nouveau, une vie donnée en Kénose pour que toute existence s’y découvre. C’est donc dans la logique du don de soi voire d’un abandon de soi comme possibilité de se retrouver que le Christ exhorte ses partisans à ne pas sortir d’eux-mêmes, à ne pas s’illusionner au regard et à l’écoute des foules qui ne peuvent exister que grâce à l’ostentatoire, au m’as-tu vu et au spectaculaire.

L’injonction du Christ : « N’y allez pas », loin de réduire le christianisme catholique à un enfermement sur soi, à un refus des autres, ouvre à la perspective de toute révélation comme une automanifestation dont le sens et la portée découlent du geste de l’archi-Fils qu’est le Christ, dont l’incarnation est désormais l’itinéraire qui nous façonne une autre manière de vivre et donc d’être.

Dans cette perspective, c’est un appel à reconnaître la vérité qu’est le Christ comme la vérité que nous sommes et donc que nous sommes appelés à être. Ici se réalise le sens d’être de l’être chrétien.

La christianité du christianisme, l’essence de notre foi chrétienne dévoile sa vérité. Si le Christ lui-même s’est dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », la vérité, la certitude, l’évidence d’être chrétien ne s’affirme que dans l’être vrai du Christ : Vrai Dieu et Vrai homme comme un être soi authentique.

En clair, pour celui qui communie, c’est-à-dire, s’unit à Jésus Christ dans le Pain et le Vin devenus son Corps et son Sang par la double injonction du pouvoir performateur de la Parole et de l’ordonnance qu’il a faite de lui-même à savoir : « Vous ferez cela en mémoire de moi » pour celui qui y croit, y adhère et en vit plus rien ne subsiste ailleurs. Je communie au Corps et au Sang du Christ pour que cet acte de foi tout en me rassasiant : physiquement, spirituellement, intellectuellement, me révèle à moi-même comme un être charnel, un être de besoin, un être de manque, un être vulnérable et partant un être souffrant.

Dans la culture qui est la nôtre, à savoir celle du monde actuel, ces figures de finitude sont considérées comme des perturbations de la condition humaine et des pôles d’anéantissement de soi. L’événement de Dieu en Jésus-Christ, l’Incarnation change tout et dans son tout changeant redonne sens et existence à la condition humaine qui peut donc se comprendre comme mortelle, comme fini, comme assoiffé et comme manquant.

C’est donc du refus de sortir de soi pour prétendre trouver des solutions aux maux qui menacent la condition humaine que l’Incarnation de Dieu en Jésus Christ nous préserve, préserve l’humanité et lance l’injonction à ceux qui l’ont compris de ne pas y aller : n’allez pas hors de vous-mêmes, n’allez pas au-delà de votre condition mortelle. Ne soyez ni dispersés, ni distraits par les vendeurs d’illusions ou les quêteurs de miracles. Ne marchez pas à la suite de ceux qui, s’étant éloignés de l’Evangile, veulent vous arracher votre humanité.

En ces temps où les miracles se révèlent comme des mirages, fruits et produits des siècles de mégalomanie et d’hégémonie, l’homme contemporain n’a pas d’autre issue que d’être soi chez soi. En cela, le christianisme se sera révélé comme la Vérité historique de Dieu en Jésus Christ, laquelle vérité incite à une adhésion pour survivre. Le péché vient du fait que ceux qui sont en droit de faire comprendre la correspondance entre Existence humaine et Vie de foi en Jésus Christ sont les premiers qui, par paresse intellectuelle et par peur de bousculer leur confort, se réfugient sous le pouvoir de l’argent, de l’avoir, réduisant la Parole du Christ à une simple morale qui ne concernerait que des injonctions de l’Eglise qu’il faut se forcer de vivre pour se faire bonne conscience. Par exemple, beaucoup de prêtres tiennent à dire leur messe quotidienne et en sont affectés de ne l’avoir pas dit. La question n’est pas de dire la messe mais d’être ce que je célèbre.

Vis-je ma foi en tant que séminariste ou c’est le règlement du Séminaire et la routine des activités qui mobilisent mon ardeur au point de réduire mon être de séminariste à un règlement venant de l’extérieur au lieu que l’appel intérieur soit notre détermination ? C’est là ce que nous appelons vulgairement hypocrisie mais qui fondamentalement est un déni de soi et donc jamais une possibilité d’être. Ne pas y aller, ne pas marcher à leur suite, c’est cesser de s’illusionner quant à la vie qu’on mène. Car l’enfer, le Ciel et le paradis ne sont pas des récompenses à attendre dans l’au-delà mais des manifestations présentes se réalisant ici et maintenant suivant qu’on est dans une foi authentique ou non.

L’exhortation du Christ est donc un avertissement aux siens : Ta foi t’a sauvé :

Suis-je sauvé par et dans l’Eucharistie ?

Me sens-je concerné à la fraction du Pain et du Vin en Corps et Sang du Christ comme déploiement, manifestation de la Vérité que je suis en tant qu’être au monde, présent en chair et en os ; capable de mensonge, de duplicité ; de bassesse, dont seul le Christ peut me relever parce qu’il est Chemin, Vérité et Vie?

Roland TECHOU

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