Éditorial
Christianisme catholique en Afrique : un chantier à sauver
Un décollage subit qui n’a eu pour répondant qu’une ascension pénible… À leur suite, des chutes saisonnières qu’un simple relèvement articulé avec une stratégie d’amateur ne parvient guère à pallier. C’est sous ce jour que nous apparaît le christianisme catholique africain dont les talons d’Achille sont multiples.
À l’origine, en effet, le dessein des premiers missionnaires de l’Évangile, pour noble qu’il paraissait et audacieux qu’il était, n’a eu pour terminaison qu’un christianisme planté au milieu de multiples ivraies et qui souffre d’anémie identitaire. Censée nous guider à travers nos nuits d’orages, la lumière du christianisme se trouve en retour menacée par des ornières culturelles, les pesanteurs idéologiques et les inconvenances d’un début d’ère chrétienne mal préparé en Afrique.
Pourtant, les timides efforts et l’engouement de l’être noir, s’il faut les reconnaître sans devoir les chanter au son de la kora, permettent de soutenir ce qui suit :
Aujourd’hui, le christianisme africain est devenu essentiellement une affaire interne à l’Afrique. Il est nôtre. Énergiquement et courageusement nôtre. Solidement autochtone et manifestement responsable de lui-même : du foisonnement de ses “vérités” comme de l’efflorescence de ses “mensonges”, des pesanteurs de ses miseurs comme du rayonnement de ses grandeurs[1].
Fort bien. Mais notre question se rapporte au décollage du christianisme et elle se libelle comme suit : l’Évangile, tel qu’il nous fut annoncé par les étrangers ne constitue-t-il pas un pouvoir d’aliénation profonde ?[2] La réponse qu’il nous revient de donner prendra en compte les talons d’Achille que porte le christianisme africain. Leur compréhension permettra de rédiger le formulaire nécessaire à sa sortie de crise et à son rayonnement nouveau. Les rubriques de ce numéro, diverses quant à leur posture argumentative et tonale, ne sont pourtant que les acteurs d’un même théâtre. Leurs respectifs rédacteurs leur ont donné vie afin que les solutions de sortie de crise nous apparaissent avec évidence. De cette manière, le chantier du christianisme africain laissé en plan ne sera plus semblable à un théâtre sans acteur, ni privé de son élan ad astra.
Miguel Cornellius ADJAHLIN
Journée pédagogique
Impacts de l’introduction du catholicisme dans le royaume du Dahomey sur les pratiques religieuses des catholiques du Sud-Bénin
Cette merveilleuse journée s’ébaucha avec un sketch qui s’est évertué à montrer que le catholicisme institué par le Christ n’abolit pas nos traditions, mais les mène à leur plein accomplissement. Cette conférence engagée s’articule autour de trois grands axes à savoir : la place du sacré dans les structures du Danxomè, les conditions de l’implantation du catholicisme dans le royaume de Danxomè et la nécessité de l’évangélisation de la culture.
Dans la vie ordinaire du Danxomè, le sacré occupe une place vitale déclinée dans les trois structures qui le composent. D’abord, le lignage ou Ako où s’observe le culte à l’ancêtre éponyme appelé le « toxyo », présidé par le Dah, accompagné du Vigan, du Tassinon et du Slanon. Ensuite, le village « To », composé de plusieurs concessions « xwé » régi par un chef, voue un culte au « Tovodoun ». Enfin, le Danxomè est gouverné par un roi qui rend un culte officiel et national au dieu « Zomandonou » composé des dieux Tohossou et Ninssoxwé.
C’est dans cette prégnante réalité socio-cultuelle profondément ancrée, que va s’immiscer le catholicisme qui, pour plus d’un, porte le voile du salut. L’évangélisation foule le sol dahoméen grâce à une rencontre du roi Agonglo avec les capucins arrivés en 1724. Agonglo considérait la religion que pratiquent ces derniers comme un culte voué à la divinité « Jésus-Christ » dont ils sont les prêtres. Il leur offrit à cet effet un espace où ils construisirent la première chapelle, Saint Jean, qui connaîtra des mutations dues à l’avènement du colonialisme. Tout ceci refréna l’élan de l’évangélisation dans ledit royaume. C’est alors sous Guézo, un roi généreux et avec l’arrivée des prêtres SMA[3], que le catholicisme va renaître avec la construction de la chapelle saints Pierre et Paul, l’actuelle cathédrale du diocèse d’Abomey. Malgré l’œuvre de l’évangélisation accomplie par les missionnaires au Danxomè, le catholicisme n’a pas connu un ancrage effectif chez les dahoméens. Nous faisons face à un syncrétisme scintillant qui fait vaciller entre foi et culture. Nous reprochons également à la religion catholique de n’avoir pas trouvé les expressions justes pour exprimer le message de la foi dans la langue fon. Ceci reste un défi à relever aujourd’hui.
En synopsis, l’irruption du catholicisme dans la culture dahoméenne n’a pas été dans les conditions idoines pour une pleine adhésion. Il revient à l’Église d’avoir plus à cœur l’évangélisation des cultures afin d’ouvrir les vannes d’une foi bien vécue et mieux exprimée.
Donné par Dr. Romuald MICHOZOUNNOU
EZOUN Steeve et Juvelino GBEDOLO
Chronique
C’est dans la légère brise annonçant le jour que l’aurore esquisse les premiers pas vers la brume. Et des journées radieuses s’annoncent. Mieux, de nouvelles pages d’histoire s’écrivent. L’histoire ! Qu’est-elle ? sinon la science des choses qui ne se répètent pas, comme l’affirme si bien Paul Valery. Cependant, du fait qu’elles ne se répètent pas, elles nous marquent, elles s’ancrent en nos mémoires et font de nous ce que nous sommes. Au vu de cette vérité, cette chronique voudrait, elle aussi, retracer l’histoire mais une bien particulière : celle du vécu du Philosophât Saint Paul de Djimè.
Il était une fois, au Grand Séminaire Saint Paul de Djimè, le mardi 08 octobre 2024. Il sonnait 06h. Le vent glacial caressait de pleines rafales nos peaux moites et nos yeux encore ensommeillés. Digne fils du Danhomè, nous nous réveillâmes ragaillardis et revigorés pour entamer une nouvelle journée. Vous souvenez-vous des activités de ce jour ? Elles furent presqu’ordinaires mais pas moins extraordinaires. Pas moins extraordinaires car revêtant le caractère d’une première journée intellectuelle. Ainsi, 08h 30 minutes sonnèrent solennellement le glas de nos délassements intellectuels et annonçant à tue-tête les prémices des cours et même des sessions dans les diverses classes. Sages et patients, nous prîmes ce nouveau paquebot dans lequel nous avons également navigué mercredi, jeudi et vendredi, et qui est sensé nous approcher de la sagesse ; mieux, faire de nous des Altri Christi pour l’Église.
La semaine s’étant écoulée, le week-end se présenta à nous sous des cieux moins cléments. Samedi, 12 octobre 2024. Le Créateur avait décidé d’accompagner notre nuit d’une fraîcheur agréable et d’une pluie bienfaisante. Recroquevillés dans nos matelas, tenus au chaud par nos couvertures nocturnes, rêvant tant bien que mal d’idées farfelues et de réalités chimériques, nous fûmes sortis de nos sphères oniriques. Vacillants et chancelants, nous abordâmes la journée. La touche particulière de ce jour qu’il nous plaît de notifier est la mobilisation que nous eûmes après la classe de chants. L’objectif en fut atteint grâce à notre détermination et à notre amour pour la terre de Djimè. Le dimanche, 13 Octobre 2024 nous parvint enfin. Vêtus de nos plus belles parures, pour la plupart en tenue traditionnelle bohoumba, nous célébrâmes le Christ ressuscité pour qui nous sommes appelés à transcender nos cultures. Dans le prône prononcé par le Père Antoine MASSESSI, il mit l’accent sur la nécessité de la sagesse et les chemins pour y parvenir. L’un des nombreux chemins dont il nous a instruits est la donation totale : « Si quelqu’un possède un talent particulier qu’il ne partage pas, il sera compté pour rien », disait-il. Dans la douce tendresse de la nuit, le dimanche bercé par les chansons d’insectes nocturnes, laissa place à une nouvelle semaine de travail, et chargé d’événements heureux.
C’est le cas du mardi 15 octobre 2024. Au coucher du soleil, nous eûmes à accueillir Mgr Eugène HOUNDEKON, prélat du diocèse d’Abomey et chancelier de notre séminaire, à l’occasion de notre messe de rentrée. Ladite messe majestueusement présidée par ce dernier et jovialement chantée par la schola cantorum, a donné sur une rencontre avec Monseigneur. Providentiellement inspiré, il nous a fait découvrir au moyen d’un récit précis, la figure du vénérable évêque Mgr François STEINMETZ. Dans son récit, il nous fit découvrir l’histoire d’un diocèse, mieux d’une église. Il a insisté sur le désir profond de Mgr François STEINMETZ de former un clergé autochtone. Ce fut un riche enseignement qui vint compléter nos acquis de la journée pédagogique. Le mercredi connut notre première sortie. Ce fut un moment de battement serein et productif. Le week-end vint aussi avec son lot de sourires. Le samedi 19 octobre 2024 fut consacré au lancement des activités officielles de la musique. Une jubilation sans nulle autre pareille fut l’expression qui se dessinait sur nos visages quand nous rejoignîmes nos classes respectives. Cette jubilation nous accompagna toute la journée durant, notamment aux vêpres solennelles où avec la schola cantorum nous avions chanté les merveilles de Dieu dans notre vie. Le dimanche 20 octobre 2024, ce fut la chorale Ogo oluwa qui nous fit vivre la célébration eucharistique par des chants non seulement dansants mais aussi harmoniques. Journée dédiée aux missions, nous fûmes appelés sous le soleil torride de 14 heures 30 minutes à nous armer de munitions missionnaires et à mettre nos pas dans ceux de nos devanciers. Cet exercice fut une expérience nouvelle pour chacun et pour tous. L’euphorie dans nos cœurs, nous passâmes la soirée à nous raconter l’un à l’autre nos exploits de cette riche expérience. Soudain, le carillon retentit et ce fut le silence.
Dans ce silence, l’ancre de mon stylo écrit ces derniers mots de notre vécu à tous. Fier de raviver en vous le souvenir de ces moments de bonheur de notre histoire commune, il se laisse choir sur ces célèbres mots de l’artiste rappeur Oxmo Puccino : « Tu ne connaîtras jamais la fin de l’histoire en faisant demi-tour à deux minutes de la victoire ».
Fernando-José AGBADJIZO
Et si on en parlait
Réinvention d’un christianisme africain : entre christianisation et humanisation sur fond christique.
Le siècle présent est confronté à des défis énormes auxquels aucun de ses véritables contemporains ne peut rester insensible. Et même si l’Europe se limitait à sa vie actuelle ou si son Église se limitait à ce qu’elle est aujourd’hui – ce qui, nous semble-t-il, ne peut être possible –, l’Afrique, elle autre, ni son Église, ne peut se résigner à ses défis énormes. Elle est à un point capital de sa civilisation. C’est pourquoi elle doit réfléchir pour redresser les parties disproportionnées du terrain de son histoire afin d’obtenir un nouveau terrain sans relief, une base désormais solide sur laquelle elle puisse se reconstruire.
Tel que le christianisme africain se présente actuellement, il ne peut rester ainsi. Il doit être réinventé, il doit fondamentalement pénétrer la culture africaine et proposer pour lui-même des formules ou des modes pour évangéliser à nouveau, mais sans erreur cette fois-ci, afin de continuer à garder sa place et même la rehausser. Ainsi l’homme africain pourra-t-il l’écouter et le suivre. On entend souvent argumenter que les évangélisateurs de l’Afrique ont commis une erreur monumentale. Ils ont mis les valeurs africaines et les lâchetés dans un même panier par le rejet total de la culture africaine jugée, par eux, impure. Même si cette évangélisation a connu un essor considérable, aujourd’hui l’Église qui en est issue, souffre de certaines tares comme le syncrétisme, la difficulté toujours ambiante d’un véritable dialogue inter-religieux, la détestation de l’Église qui est accusée de freiner le développement de l’Afrique, etc. C’est pourquoi l’Église doit se trouver une formule ou une méthode fondamentale si elle veut continuer à être écoutée. Entre christianisation et humanisation sur fond christique, laquelle des deux formules peut permettre cette réinvention du christianisme dont nous nous faisons le porte-flambeau ? Par une méthode pragmatique, nous nous évertuerons à comparer les conséquences pratiques de la christianisation et celles de l’humanisation sur fond christique afin d’être en mesure d’affirmer clairement laquelle des deux permet la réinvention du christianisme.
La christianisation est un processus par lequel on rend chrétien, ou plus amplement par lequel on enseigne la doctrine du Christ pour rendre quelqu’un ou un peuple partisan ferme du Christianisme. Nous souhaitons argumenter sur trois procédés par lesquels le christianisme, et surtout africain, évangélise pour rendre chrétien.
D’abord, l’Église africaine christianise par le discours. De quel discours s’agit-il véritablement ? Au début de ses enseignements, le Christ, le fondateur du christianisme, appelle à la conversion en ses termes : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche »[4]. Il disait, lorsqu’il envoyait ses disciples en mission, ce qui suit : « Chemin faisant, proclamez que le royaume des cieux est tout proche. »[5] C’est en effet le message essentiel de l’évangélisation même si l’amour de Dieu et des hommes est le plus grand des commandements. Pour une fidélité parfaite à la recommandation du Christ, le Pasteur de son Église, les évangélisateurs ne peuvent pas faire fi de ce discours pour se tailler un autre se basant uniquement sur l’humanisation. Que l’Église ne s’approprie pas les termes propres aux organisations internationales comme l’OMS, l’UNICEF, etc. et oublie ceux que son Pasteur lui a recommandés. Il ne faut pas perdre de vue le repère dans le but de plaire. Entendu aussi que c’est le Christ Lui-même qui convertit.
Ensuite, la christianisation a également un fond cultuel. La première chose que demande le Christ Lui-même est le baptême et la franche conversion : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »[6]. Il a institué l’Eucharistie et tous les autres sacrements ainsi que la célébration de la Parole de Dieu par sa propre fréquentation à la synagogue : « On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit… »[7]. C’est pourquoi pour une fidélité parfaite à la doctrine du Christ, l’Église ne peut en aucun cas mettre de côté le culte et passer uniquement par un discours humaniste pour évangéliser une culture ou un peuple lorsqu’elle y fait son immersion.
Enfin, la christianisation se fait aussi par l’enseignement ou l’instruction des peuples sur les valeurs morales et religieuses. Et dans tous les domaines où intervient l’Église pour continuer l’œuvre de l’Évangélisation, elle fait route avec ces valeurs sur lesquelles elle insiste et qu’elle enseigne. C’est pourquoi dans ses écoles catholiques, elle enseigne des règles ou adopte des principes que les autres écoles n’ont pas sur les lèvres. Ce n’est pas que les autres n’ont pas des principes de valeurs, mais à des moments, le monde promeut des habitudes de mœurs légères ou des turpitudes comme des valeurs, que l’Église ne tolérera pas. Quel est donc ce discours humanisant qu’elle peut tenir en se basant sur les valeurs humaines du monde ? Nonobstant ces restrictions, il reste à savoir qu’il est temps de réfléchir sur ces formules propres à l’Église. Et ce faisant, on découvre qu’une approche humaniste, une humanisation sur fond christique, semble pourtant envisageable pour relever le défi conflictuel inter-religieux et pour faciliter l’expansion du christianisme africain. Peut-on réinventer un christianisme africain qui ne réponde pas aux attentes actuelles de l’Afrique ? Le discours du christianisme, son culte et ses valeurs religieuses mentionnés ci-dessus sont-ils vraiment une solution aux problèmes de l’Afrique ? La solution n’est-elle pas peut-être plus loin ou plus profonde ?
L’humanisation est simplement parlant, le processus par lequel on rend humain. Par rendre humain, nous entendons transmettre à l’homme les valeurs morales et sociales qui font de lui un être de cœur, sociable et respectueux de la nature et des hommes, sensible aux misères de l’autre et compréhensif. Humaniser sur fond christique signifie donc pour nous, transmettre toutes ces valeurs précitées à l’homme pour qu’il soit bon. Pour réinventer un christianisme africain, va-t-il falloir continuer la christianisation de l’Afrique par le chemin d’humanisation et ne plus faire usage des termes chrétiens de la doctrine catholique ? Kâ Mana dit qu’« il s’agit essentiellement aujourd’hui de passer […] d’un Christ perçu comme chemin de salut vers l’au-delà à un Christ d’engagement profond pour l’humanisation des peuples par des valeurs éthiques et spirituelles dont les religions du monde sont des manifestations multiples et variées »[8].
Ainsi insiste-t-il sur une humanisation sur fond christique. Si le christianisme prend cette voie, ce sera pour avoir un contact avec tous les différents corps du monde à savoir le corps politique, les religions traditionnelles endogènes, les autres religions, etc. qui ne seront plus réticents vu que le discours ne parle pas du Christ mais est centré sur les chemins du développement.
D’une part, le christianisme jouerait à un jeu d’esprit, à un jeu de stratège qui cherche à gagner du terrain. Alors que le message évangélique doit être audible, sans ambages et sans contours. Ce n’est pas parce que le christianisme est mal compris, mal interprété et mal jugé qu’il faut mettre de côté la christianisation et passer à une autre méthode. Il faut juste sensibiliser ceux qui jettent le discrédit sur le christianisme par des écrits comme l’a commencé Giono Honfin qui écrit :
Le christianisme ne doit pas être confondu à un produit ‘’made in Europe’’, destiné aux Africains pour consommation. Le christianisme catholique n’est pas non plus un voile d’abêtissement jeté sur l’Afrique pour endormir sa conscience. Ce sont malheureusement des conceptions développées par des intellectuels africains qui associent le christianisme à l’esclavage qui a décimé pendant près de quatre siècles le continent noir[9].
D’autre part, pendant plusieurs décennies, l’Église catholique a analysé de bout en bout, mais avec difficulté, la culture romaine afin de l’adapter aux doctrines du christianisme. C’est ainsi que nous avons le culte catholique de rite romain. Pour l’inculturation qui est possible en Afrique, il faut nécessairement être éveillé pour ne pas commettre des erreurs qui iraient contre le message évangélique. La Sacrosanctum Concilium au numéro 38 dit : « Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions ». C’est pour dire que l’Église africaine, en tendant la main à la tradition africaine, doit être attentive pour ne pas être débilitée par la culture qu’elle veut évangéliser. Le risque est grand. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut désormais christianiser l’Afrique en mettant de côté l’Évangile qui sera caché dans la méthode humaniste. Ce qui est caché n’est pas vu, mais ce qui est fait.
En conclusion, la christianisation demeure toujours la meilleure voie même si les agissements de certains chrétiens et de certains pasteurs sont désobligeants. Il suffit d’insérer quelques aspects humanistes à fond christique dans cette christianisation pour avoir une réinvention du christianisme africain qui tienne désormais compte des problèmes socio-culturels de l’Afrique. Ainsi aurons-nous des dialogues inter-religieux qui ne se limitent pas seulement aux dirigeants des différentes religions mais à tout individu adepte. C’est alors que le christianisme et les autres religions pourront contribuer au développement de l’Afrique par la paix et la culture des valeurs humaines véritables. « L’ambition d’une communauté chrétienne doit être celle de servir la paix dans chaque partie du monde »[10].
Léon VIDEGNON
Chemin de sainteté
François-Xavier, un missionnaire qui ébranle les barrières linguistiques
Au fil des siècles, se sont succédé des missionnaires zélateurs de la foi chrétienne et l’on en distingue encore de nos jours. Ils entretinrent de leur zèle le flambeau du christianisme dont les rayons se propagèrent jusqu’aux confins du monde ; la foi put ainsi germer même dans les cœurs des plus lointains. Ils sont pour nous aujourd’hui des icônes référentielles. Saint François-Xavier fut de ceux-là qui illuminèrent le monde indien au XVIe siècle.
François naquit le 07 Avril 1506. Après une enfance douloureuse marquée par la guerre opposant la Navarre et la Castille au cours de laquelle sa famille fut dépossédée de sa fortune et déchue de son rang, François, orphelin de père depuis 1515, poursuivit modestement ses études en France. C’est au cours de ses études qu’il fit la connaissance d’Ignace de Loyola avec qui il devait partager sa chambre. Ignace qui était à la recherche de compagnons dans la perspective de la création prochaine d’une compagnie – quoique tacitement –, décela en François de précieuses qualités idoines à ladite œuvre et entreprit de l’y associer. Ignace l’amena ensuite à comprendre la sentence qu’il aimait à lui répéter : « À quoi sert de gagner l’univers, si on perd son âme ? »
Peu à peu, François fut complètement gagné à la cause de l’œuvre d’Ignace et le 15 Août 1534, il s’engagea avec cinq autres jeunes gens par les vœux de pauvreté, de chasteté et de pèlerinage à Jérusalem. François s’adonna dès lors à de sévères pénitences que lui inspirèrent les Exercices spirituels ignatiens.
Parti de Paris à la mi-Novembre 1536 avec ses compagnons pour se rendre à Rome afin de se mettre à disposition du pape, François eut à plusieurs reprises en rêve une même vision dans laquelle il portait sur son dos un Indien qui lui pesait étonnamment. En effet, après son ordination sacerdotale le 24 Juin 1537, François fut envoyé en Inde sur ordre du pape Paul III qui le nomma nonce, en vue de satisfaire le désir du roi de Portugal Jean III. Il s’empressa d’effectuer le voyage durant lequel il ramenait les âmes à la lumière de la foi grâce à son affable sollicitude. Il exerça avec succès son apostolat à Goa où il s’établit un bon moment et chez les Paravers qu’il s’efforça, en dépit des barrières linguistiques et culturelles, d’instruire. En dépit des dangers, sa joie n’était que grande. Il essaya ensuite, mais avec moins de succès, d’implanter la foi chrétienne au Japon et en Chine. Tombé gravement malade, il s’endormit pieusement dans le Seigneur après quatre jours d’agonie à San Choan dans la nuit du 26 au 27 Novembre 1552 selon ce qu’a rapporté le Chinois converti resté à ses soins.
Judes HOLOTCHI
Qu’en dire ?
Culte chrétien et pratiques traditionnelles : les voies d’une corrélation
En février 2010 paraissait un livre signé de la plume de René Tabard, à la titulature fort suggestive. Ledit ouvrage était intitulé comme suit : Christianisme et Culture traditionnelles africaines. À en croire l’auteur de ce bestseller, si la grâce ne supprime pas la nature, la mondialisation montre qu’elle ne supprime pas la culture. Cela dit, le message évangélique devrait donc ipso facto épouser subrepticement et véritablement la culture dans laquelle il s’incarne. Les R.T.A[11], nonobstant les procès d’intention ou de reproches qu’on peut leur adresser, représentent à elles seules de véritables pierres d’achoppement ou fondationnelles de l’Être et du message de Jésus, figure par excellence de l’unité. Il est obvie à bien des égards de se rendre à l’évidence que la foi chrétienne doit dialoguer avec les cultures contemporaines africaines, respectant leur autonomie tout en favorisant une interaction réciproque puisqu’elle n’a jamais été ni pensée en dehors de la culture. Ainsi en est-il de la culture qui, stricto sensu, « est la manière dont un groupe humain, un groupe social habite le monde »[12].
La problématique de la corrélation entre le culte chrétien et les pratiques traditionnelles est un sujet assez complexe et suppose inexorablement une approche contextuelle par l’avènement de l’inculturation qui en est la solution ad rem. Cela dit, comment est-ce que la problématisation de l’inculturation[13] intègre ou désagrège certains éléments qui, substantiellement, soutiennent et sous-tendent le véhicule du message chrétien ou évangélique ? L’inculturation est un processus par lequel le message chrétien s’ingère dans une culture spécifique et vise à créer de nouvelles formes de célébration et de pensée qui respectent les réalités locales tout en véhiculant le message évangélique[14]. Ces pratiques révèlent fort bien combien le christianisme peut s’enrichir des cultures existantes dans la mesure où un travail de tri ou de purification est préalablement fait. Dans le contexte béninois notamment, il se manifeste par l’utilisation des paradigmes du langage dans la liturgie, l’intégration d’instruments traditionnels dans les chants religieux, la célébration de rites locaux adaptés à la foi chrétienne, etc. Considérant le fait que « l’abime entre l’Évangile et la culture constitue le drame de notre temps »[15], par l’inculturation, les Africains retrouvent la fierté de vivre leur foi non comme quelque chose d’importé ou une adaptation d’un christianisme dans une culture, mais une expression nouvelle qui trouve écho dans la culture d’accueil.
Nonobstant ce contexte complexe qui pourrait la forcer à la désertion ou tout au moins au mutisme, l’Église qui, selon l’expression de Paul VI, est experte en humanité se souvenant du mandat reçu de son Chef et Pasteur, reste fidèle et cohérente à sa mission prophétique en osant une parole contre toute forme d’inculturation qui nierait le sens, l’essence et la quintessence de la vérité de l’Évangile. Elle ose une parole pour donner des balises nécessaires et ouvrir les vannes cruciales à un possible rapport. Point[16] alors l’indispensabilité de l’écouter et de lui obéir en vue de faciliter l’accès aux voies d’une corrélation.
Sébastien ADJE
Plume sacrée
Quand la foi embrasa…
Quand la foi catholique embrasa les âmes du continent africain,
Dieu maudit l’agelaste, mima les grands danseurs, gratifia les missionnaires,
Tous ces intrépides ouvriers qui ont transi les calvaires
Et les aversions de leurs contempteurs qui s’agenouillaient devant Vulcain.
Lorsque les malabars d’Afrique se mutinaient sans trêve
En cherchant sempiternellement à trucider Dieu et ses disciples au nom du racisme,
La Bonne Nouvelle se dissimula dans les cœurs de ces larves
Et les incarcéra progressivement dans l’univers du catholicisme.
Et après l’avènement du catholicisme en Afrique,
L’apostasie s’est directement enterrée dans les abysses
Pour que les générations à venir déclament aussi les cantiques
De la première Église qui abhorre colossalement le culte d’Ulysse.
Et aujourd’hui, le catholicisme africain est une bannière
Qui scintille sauvagement dans toutes les régions
Où tous vénèrent le maître de l’Olympe grâce à l’inextinguible lumière
De l’Évangile, l’éternel harangueur des apôtres du diable qui sont légions.
Et quand la spiritualité contemporaine est sortie des limbes,
L’enjeu de l’inculturation devient herculéen dans le catholicisme africain
Où l’Évangile doit trouver sa place et s’adapter aux diverses cultures
Afin que la foi se vive dans la vénusté et ne connaisse guère les flétrissures.
Il faut donc que notre catholicisme prenne sérieusement une part de sa culture,
Les rites et les coutumes de sa vie quotidienne dans la nature
Pour qu’ils soient porteurs de la prédication de ses prêtres
Au sein d’une spiritualité vivante et participative de tous les fidèles.
Rolland SOTCHOEDO
Lu pour vous
L’estime de la foi des autres – Henri de la Hougue[17]
Le pluralisme religieux constitue un défi majeur pour la foi chrétienne aujourd’hui, compte tenu de l’essor que lui a permis le contexte d’interculturalité des multiples sociétés humaines. Les documents du Concile Vatican Il et la rencontre œcuménique d’Assise en 1986 ont invité les chrétiens à avoir une attitude révérencieuse et de considération par égard pour la foi des hommes d’autres religions. Il s’agit de collaborer avec eux afin de construire un monde véritablement fraternel. Mais comment avoir ce regard positif si tant est que les conceptions de ces religions sont différentes et contradictoires des nôtres ?
D’une part, le trésor de la Révélation hérité par les chrétiens, à savoir que Dieu s’est révélé en son Fils Jésus-Christ, est d’ordre surnaturel. Mais elle n’exclut nullement la Révélation naturelle de Dieu à travers sa création. D’ailleurs, la connaissance naturelle de Dieu en est un témoignage irréfragable. Et il faut considérer que les démarches des autres religions trouvent leur accomplissent dans le Christ. De fait, plutôt que de porter un jugement hâtif sur les non-chrétiens, les chrétiens devraient voir leur démarche comme implicitement orientée vers le Christ, même si les éléments de leurs structures diffèrent de ceux que l’on retrouve au sein du christianisme. En conséquence, le chrétien, considérant les trois dimensions de la foi telle qu’elle est confessée, célébrée et vécue, sera en mesure de faire crédit aux non-chrétiens du meilleur de ce qu’il confesse, du meilleur de ce qu’il célèbre et du meilleur de ce qu’il vit.
Partant, trois facteurs d’unité entre le christianisme et les autres religions, présents dans les textes officiels de l’Église Catholique, corroborent la foi des non-chrétiens. Primo, la prière de ces derniers est d’emblée perçue comme une authentique démarche d’abandon à la divinité, démarche de laquelle l’Esprit du Christ n’est pas absent. Acte numineux, la prière, loin d’être idolâtre témoigne plutôt de la qualité de leur relation à Dieu.
Secundo, ce qui force le respect de la foi des non-chrétiens est la haute estime de ce qu’ils confessent, leur croyance étant une expérience religieuse encore à la recherche de la vérité absolue. Mais cette aube de foi, cette aspiration au Tout-Autre, Dieu révélé en Jésus-Christ, ne trouvera son accomplissement que dans la foi chrétienne qui, pour elle, possède déjà la Vérité totalement accomplie. L’ultime facteur commun attestant de la valeur des autres religions est la haute estime des œuvres humanistes qu’ils accomplissent au nom de leur foi. Par conséquent, la foi chrétienne n’est nullement opposée à la démarche des autres religions, mais elle est plutôt révélatrice de ce que devrait être une foi authentique. Toutefois, faudra-t-il éviter un double écueil : réduire la foi de l’autre à une sous foi chrétienne ou relativiser le contenu de la foi chrétienne ?
José HOUNGBO
Le Saviez-vous ?
Il n’est nullement aisé d’assister bien des fois, à des discours ronflants émanant malheureusement de personnalités illustres et éminentes. Pallier alors cette imposture, telle se révèle la tâche échue à cette rubrique dont l’étendue évoque ici une précision sémantique non moins négligeable et d’une importance on ne peut plus à démontrer. Elle s’avère tout de même indispensable parce qu’octroyant désormais aux uns comme aux autres, les ressources idoines susceptibles de briser le cercle combien mortifère des blessures et confusions langagières. Et puisqu’on y est, hâtons-nous de découvrir la quintessence de la présente clarification qui porte d’ailleurs sur : « Apporter » et « Amener »
- Apporter: utilisé pour des objets, des choses inanimées, « apporter » signifie le fait de transporter un objet vers un endroit précis. Mieux, il s’agit du déplacement d’un objet vers un lieu donné.
E.g. : Ma tante Bella m’a apporté un livre.
- Amener : mot dont l’usage s’attribue à des êtres vivants (hommes ou animaux), « amener» insiste sur l’accompagnement d’une personne ou d’un animal vers un lieu déterminé.
E.g. : Que l’on m’amène un âne, un âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,
Et veux qu’il porte la soutane. (La Fontaine, Fables, vi, 19.)
Chrisostome TOGBE
Arrêt sur image
[1] K. MANA, Christ d’Afrique, Enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ, KARTHALA-CETA-CLÉ-HAHO, Paris 1994, p. 8.
[2] Cf Ibidem, p. 7.
[3] Société des Missions Africaines.
[4] Mt 4, 17b
[5] Mt 10, 7
[6] Mt 28, 19
[7] Luc 4, 17
[8] K. MANA, Christ d’Afrique, Enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ, KARTHALA-CETA-CLÉ-HAHO, Paris 1994, p. 268.
[9] G. HONFIN, Le Vodoun accompli, Éditions Foi, Psychologie et Éducation, Bohicon 2020, p. 122.
[10] A. RICCARDI, L’étonnante modernité du christianisme, Presses de la Renaissance, Paris 2005, p. 280.
[11] Sigle communément admis pour désigner les Religions traditionnelles africaines.
[12] E. MESSI METOGO, Le Christianisme peut-il mourir en Afrique ? Paris, Karthala, 1997, p.183.
[13] Concept formalisé au synode romain en 1978.
[14] Définition donnée par Pedro Arrupe le 14 mars 1978 lors du Synode romain des Évêques.
[15] Exhortation apostolique Evangelii Nutiandi, 1995, No20.
[16] Verbe poindre.
[17] Docteur en Théologie et licencié de l’Institut Pontifical d’Études Arabes et d’Islamologie de Rome, Henri de la Hougue enseigne la théologie des religions au sein de l’I.S.T.R. (Theologicum). Desclée de Brouwer, mai 2011