« Es-tu le Roi des juifs ? » (Jn 18,33)
Chers frères et sœurs,
En posant cette question, Pilate y reste à l’extérieur, il n’en fait pas une préoccupation. Or toute question que nous posons n’est véritable question que quand elle se pose à nous (nous y sommes confrontés), c’est-à-dire qu’elle nous implique, au point qu’elle nous remue de l’intérieur et attise en nous une faim et une soif de découverte nouvelle ou d’un meilleur approfondissement. Les vraies questions sont peut-être celles qui relèvent d’une préoccupation profonde pour ne pas dire existentielle. Elles nous engagent. Celle de Pilate à Jésus ne semble pas de cet ordre. Et donc en définitive, ce n’est même pas une question qu’il pose. Il fait, sous forme de question, une déclaration qui se limite à répéter ce qu’on lui a rapporté sur le prisonnier qu’il a en face de lui. Jésus perçoit, si j’ose dire le jeu quasi malicieux voire railleur de Pilate et, plutôt que de répondre à une question qui n’en est donc pas une, il se contente de rétorquer au préfet romain: « Dis-tu cela de toi-même ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Le duel Pilate-Jésus ne fait alors que commencer. Quelle outrecuidance de la part de quelqu’un qui comparaît pour une accusation ? Etonnante attitude de Jésus qui devrait résonner à l’oreille de Pilate comme plus qu’une provocation ordinaire d’un accusé indélicat. Plutôt que d’y réfléchir par deux fois, il se laisse trop vite aller à l’agacement et les propos qui s’ensuivent achèvent de démontrer à souhait que sa question initiale, « Es-tu le roi des juifs » ne l’engage en rien, comme nous venons de le noter : « suis-je juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » A cette ‘’présomption de culpabilité’’, Jésus va répondre à peu près quelque chose comme ceci: Ma faute, ce que l’on me reproche, c’est de ne pas exercer une royauté telle que ma Nation s’y attendait, c’est à-dire, à travers une démonstration de force.
C’est alors que Pilate comprend que l’affaire est plus sérieuse qu’il ne le pensait. « Alors, tu es roi ? » interroge-t-il, mi narquois, mi intrigué. En effet il ne dit plus : « es-tu le roi des juifs ? mais simplement es-tu roi ? Cette modulation signifie que la prétention de Jésus ne se limiterait pas simplement aux confins de la nation juive ; cela semble inquiéter Pilate, tout comme Hérode fut bouleversé à l’annonce par les mages, de la naissance du « roi des juifs » (Mt 2, 2-3). Et, comme on ne pouvait s’y attendre, Jésus approuve Pilate: « c’est toi-même qui dis que je suis roi ( ce qu’on pourrait traduire : Tu as tout compris, et tu le dis si bien, que je suis roi).
Lui qui a passé sa vie, en diverses circonstances, à éviter que l’on fasse de la publicité au sujet de sa messianité (Mt 16,20), à fuir le « risque » d’être intronisé roi (Jn 6,15 ) ou à interdire à ses proches de répandre l’événement de la Transfiguration (Mt 17, 9), le voilà qui, dans une circonstance tout à fait ubuesque et invraisemblable, celle de la Passion où on le déguise grossièrement pour mieux le tourner en dérision (Mt 26,28.29), le voilà donc qui accepte et déclare sans ambages qu’il est roi. Mais ce n’est pas sans préciser le type de roi qu’il est : non pas un roi mondain (cf Mt 20, 25), mais celui qui est venu servir (Mt 20, 28) et rendre témoignage à la vérité (Jn 18, 37).
Chers frères et sœurs, que pouvons-nous retenir, après ce bref commentaire ?
- Qu’en célébrant la solennité du Christ-Roi, nous sommes en devoir, non seulement de chanter des louanges au Christ, mais de nous demander ce que signifie vraiment qu’il soit Roi pour nous. S’il est Roi, nous lui devons adoration et obéissance ; foi et confiance. Est-ce que nous nous tournons vers Lui, ou préférons-nous rechercher ailleurs la force et la puissance, fermant ainsi la porte de notre cœur à Notre Roi ?
- Que nous sommes des princes et princesses du Christ-Roi mais de cette royauté de service et de vérité. Ne l’oublions bas, c’est à nous de faire en sorte que le Christ soit Roi, « vêtus de magnificence et de force », comme nous venons de le chanter dans le psaume (cf Ps 92). Un comportement qui emprunterait plutôt les chemins de la royauté de ce monde, celle de la domination et de la discrimination, des dérives autoritaires et totalitaires, ne ferait que « dévêtir le Christ » et le rendre ridicule comme lors de la Passion.
- Que ce que Pilate n’a pas pu ni voulu connaître, ce que bien de nos semblables se refusent à accepter ou n’ont pas pu découvrir, à savoir que Jésus est Roi, nous avons le bonheur de le découvrir et d’y croire fermement. Le Christ n’est pas seulement le « Roi des juifs » ni même le Roi de tout l’univers, mais aussi « notre » Roi à nous, et nous devons lui poser les vraies questions qui nous impliquent : est-ce que aujourd’hui en tant que chrétiens, prêtres, séminaristes, le Christ règne dans nos vies, celles de nos cultures, de notre Eglise, de nos communautés, celle de notre clergé ?
Puisse-t-il trouver place dans nos vies et qu’advienne en nous et par nous son Royaume d’amour, de miséricorde, de service et de vérité, Amen !
Père Moïse SOKEGBE