Première Lecture : Deutéronome 6,2-6
Psaume Responsorial : 17(18),2-3,4,47.51ab
Deuxième Lecture : Hébreux 7,23-28
Evangile : Marc 12,28b-34
Bien-aimés du Seigneur, Bonjour
Soyez les bienvenus à cette célébration eucharistique !
L’amour de Dieu et l’amour du prochain : Voilà résumé l’essentiel des textes de ce dimanche. Avons-nous encore besoin d’une exhortation après la clarté de ces textes ? Vu la gravité de ce commandement de l’amour, je voudrais juste commencer cette méditation par une légèreté. Le samedi 26 octobre dernier, pour ceux qui suivent l’actualité sportive, il y a eu le classico entre le Real Madrid et le FC Barcelone. Après avoir battu quatre fois de suite le FC Barcelone, le Real Madrid s’est fait battre à son tour 4-0. N’est-ce peut-être pas le fruit de l’abnégation, le fruit du souci de l’autre, du sens du partage, de l’amour du prochain de la part du Real Madrid ? Est-ce charitable de gagner contre la même équipe cinq fois de suite ? Il faut être généreux en laissant le FC Barcelone gagner au moins une fois.
Je me permets cette comparaison après avoir vu l’engouement de nombreux séminaristes à commenter les résultats de ce match par petits groupes.
Au-delà de cette légèreté, le commandement de l’amour de Dieu et du Prochain est l’essentiel de notre vie de chrétien.
Quel est le premier de tous les commandements ? Telle est la question du scribe qui ouvre l’Évangile de ce dimanche. On peut avoir l’impression que ce scribe voudrait que le Christ établisse une hiérarchie des commandements, quand on sait, qu’en plus des dix Paroles du Sinaï, plusieurs autres règles et interdits se greffaient à la pratique religieuse juive.
Le premier, dit Jésus, c’est le commandement de l’Amour. Premier commandement, non pas parce qu’il se placerait en tête d’une liste, mais en raison de sa priorité absolue. Il est la source d’où découlent toutes les autres prescriptions.
Mais il existe un risque, celui de croire que seul le culte religieux serait l’expression parfaite de cet amour au Dieu unique. A cet effet, Jésus nous apprend donc qu’il n’en est rien. Le culte rendu à Dieu sans amour du prochain n’a pas de sens. Bien au contraire, le terrain de la relation au prochain rend témoignage à l’amour de Dieu, qui nous invite à ne pas nous arrêter à une pieuse dévotion.
Voici donc le commandement de l’amour de Dieu et du prochain :
« Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Cf. Deutéronome 6, 5 ; Marc 8 12, 30).
Vous connaissez sans doute cette belle image du philosophe Kierkegaard lorsqu’il dit : « L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont comme deux portes qui s’ouvrent en même temps : impossible d’ouvrir l’une sans ouvrir l’autre, impossible de fermer l’une sans fermer, en même temps, l’autre » (Diaire, II, p 201). Cela nous est d’autant plus parlant que c’est un philosophe qui l’évoque ; et nous sommes ici, dans une maison de formation philosophique.
En considérant toutes ces prémisses, je voudrais, pour cette méditation, aborder juste un seul point : le « Shema Israël », Ecoute Israel. L’expression « Écoute Israël » est une formule biblique fondamentale dans la tradition juive. Le verbe « écouter », signifie plus que l’exercice passif de l’ouïe, et désigne une attitude humaine véritablement active. D’ailleurs, shema se traduit aussi par « obéir » : Car au sens biblique du terme, écouter [shema] c’est obéir. Loin d’une passivité béate, le terme shema contient déjà les notions d’observance, d’application et de fidélité. On comprend donc que l’écoute est une attitude véritablement attentive. Ainsi je voudrais m’arrêter sur l’écoute, cet exercice de l’ouïe comme expression de l’amour de l’autre à travers trois petits traits : Ecouter pour comprendre, comprendre pour répondre et enfin l’urgence d’apprendre à écouter.
Ecouter pour comprendre
Ici il s’agit de porter de l’intérêt à la parole de l’autre même si a priori cette parole n’a rien de « captivant ». Il ne s’agit pas d’une écoute complaisante où l’on s’extasie devant tout ce qui est dit. L’objectif de l’écoute n’est pas d’abord de valoriser la personne qui parle mais de prêter attention à la pensée qui se forme à travers elle. On n’écoute pas l’autre d’abord pour lui répondre mais on l’écoute pour le comprendre, ce qui suppose d’être attentif à ce qu’il dit et non tourné vers soi en étant attentif à ce qu’on veut dire soi-même.
Généralement nous n’avons pas la patience d’écouter l’autre car nous sommes bien trop préoccupés à confirmer ce que nous pensons déjà, plutôt qu’à nous en détacher pour percevoir ce que dit l’autre.
Ecouter, c’est être capable de reformuler avec précision ce qu’a dit l’autre, être capable d’entrer dans sa pensée pour être, par la suite, capable de répondre à son message.
Comprendre pour répondre
Toute réponse part de la compréhension que nous avons de la parole qui nous est adressée. Si nous prenons le temps d’entrer dans la juste intelligence de ce que dit l’autre, nous devenons aussi capables de donner une réponse adéquate à sa demande. L’une des causes des conflits, c’est le saut que nous faisons. En entendant les propos de notre interlocuteur, nous sommes tellement préoccupés par notre propre réponse que nous ne tenons plus compte de la juste compréhension du message de l’autre. On ne peut répondre de façon correcte en réfléchissant déjà à la réponse que nous allons donner pendant que l’autre continue de parler.
Chers frères et sœurs, répondre à l’autre doit toujours partir de la juste compréhension de ses propos. En effet, c’est parce que nous nous sommes efforcés de comprendre le message du Christ que nous nous engageons à lui obéir. Et pour rester dans cette obéissance il nous faudra réapprendre à écouter.
Urgence d’apprendre à écouter
Pour nous séminaristes, l’urgence d’apprendre à écouter est double. D’abord nous nous trouvons dans une maison de foisonnement philosophique où le propre est la confrontation des idées. Comment serions-nous capables de fructueux échanges si nous ne prenons pas le temps de comprendre la pensée de notre interlocuteur. Ensuite comme prêtres dans le futur, vous serez à l’écoute du peuple de Dieu. Sur le terrain, il vous arrivera de n’avoir aucune réponse à donner au problème d’un fidèle, mais il entamera tout de même un processus de guérison simplement parce qu’il se serait senti écouté.
Comme dans tout apprentissage cela suppose exercices, erreurs progressivement rectifiées, développement d’un savoir-faire et beaucoup de patience. Nous sommes en chemin pour la construction d’un « soi » capable d’assumer ce qu’il dit ; un « soi » capable de porter à l’examen des autres ses propres hypothèses ; un « soi » conscient des présupposés et des problèmes que soulèvent ses pensées ; un « soi » prêt à accueillir les critiques et les pensées différentes ; un « soi » en chemin vers des vérités toujours en construction mais qui s’enracinent dans la vérité elle-même, le Christ.
Bien aimés du Seigneur
Notre engagement à la suite du Seigneur part de notre écoute attentive de sa parole. De la même manière, les relations avec les autres s’enracinent dans une juste compréhension de leurs messages.
Demandons au Seigneur au cœur de cette Eucharistie, la grâce d’une bonne écoute de sa Parole vivifiante.
Père Rodrigue GBAGUIDI