Homélie du 31ème dimanche ordinaire A
Ml 1, 14b-2, 2.8-10 ; Ps 130 ; 1 Thes 2, 7b-9.13 ; Mt 23, 1-12
Chers pères formateurs,
Chères religieuses,
Chers amis séminaristes,
Frères et sœurs, bien-aimés de Dieu,
Et vous particulièrement sœur Marie GUEGNI, avec vous nous bénissons le Seigneur pour les 25 ans de votre consécration à Dieu dans la Congrégation des Sœurs OCPSP. Merci à vous, pour votre vie entièrement donnée à Dieu ; merci encore et encore pour le service que vous nous rendez dans cette maison. Que l’amour du Christ qui vous habite, vous donne l’énergie nécessaire non seulement pour le proclamer, mais aussi pour le vivre tous les jours de votre vie et que nos prières vous accompagnent. Un merci sans borne à vos consœurs ici présentes, partageant votre joie en ce jour.
Pour revenir aux textes liturgiques de ce jour, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’au chapitre 23 du premier Évangile, les scribes et les pharisiens passent un mauvais quart d’heure. Heureusement que la liturgie de ce dimanche nous épargne le reste du chapitre où Jésus y va d’une série de sept invectives contre eux. Ce qui étonne dans ce récit, c’est la violence verbale de Jésus. Sinon, comment expliquer cette virulence soudaine de Jésus qui, quelques versets avant était qualifié de « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Vraisemblablement, cela peut s’expliquer en partie par le contexte historique entourant cette péricope et aussi par la composition même de la communauté à laquelle Matthieu s’adresse. Cela ne voudrait pas dire que Matthieu ait inventé les paroles ou les attitudes de Jésus, d’ailleurs les dénonciations de Jésus trouvent leurs parallèles en Mc 12, 38-40 et Lc 11, 39-52. 20, 45-47 ; mais il est probable que Matthieu pousse un peu plus loin que les autres évangélistes la note anti scribe et pharisienne de son Jésus.
D’abord le contexte,
Matthieu écrit son Évangile après la chute de Jérusalem et la destruction du Temple en 70. Avec la destruction du Temple, le judaïsme pharisien se voit amputé d’une part importante de son identité qui est le culte du temple. Du coup, il va se réorganiser et se durcir à l’égard de ceux de ses frères juifs, qui osent professer que le crucifié Jésus a été, par sa résurrection, manifesté comme messie d’Israël. Dès-lors, juifs et chrétiens se distingueront, les juifs excluant définitivement les judéo-chrétiens – jusque-là tolérés – et des synagogues et du peuple élu. C’est dans ce contexte où scribes et pharisiens exercent condamnation et persécutions envers les judéo-chrétiens – groupe composant en majorité la communauté matthéenne – que l’évangile est produit. On comprendra alors que cette charge de Jésus contre scribes et pharisiens soit dirigée peut-être davantage vers les opposants aux judéo-chrétiens des années 80 plutôt que vers les contemporains mêmes de Jésus.
Ensuite la communauté de Matthieu,
La composition de la communauté de Matthieu est le deuxième élément nous permettant d’expliquer la virulence de Jésus. La communauté de Matthieu, telle que mentionnée plus haut, est sans doute composée en majorité de juifs devenus chrétiens. Or, au plan religieux, les juifs possédaient des structures hiérarchiques bien définies. En lisant ce passage de Matthieu, nous avons l’impression que la communauté matthéenne, dans sa frange dirigeante, avait importé ces réflexes hiérarchiques dans la communauté chrétienne. Nous pouvons même dire que les responsables faisaient sentir leur pouvoir aux plus petits de la communauté, notamment les chrétiens provenant du paganisme, formant l’autre partie, minoritaire, de la communauté. C’est donc là un début de cléricalisme au sein de la communauté matthéenne.
De la sorte, la péricope de ce dimanche sonne comme un appel ou des appels à ne pas répéter, dans la communauté de la nouvelle alliance, ce que Jésus pouvait reprocher aux dirigeants du judaïsme de son temps. Jésus peut alors prendre la posture de Malachie qui s’en prend avec violence aux scandales de l’établissement clérical de son époque.
En outre, toujours dans ce passage, il y a comme une tendance de la minorité pagano-chrétienne à vouloir balancer par la fenêtre, la tradition venant de la première alliance, c’est-à-dire ce qui vient de la chaire de Moïse, au profit de la nouveauté apportée par le Christ. D’où cette sentence : « Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire ».
Frères et sœurs bien-aimés de Dieu
Les avertissements du Christ en ce dimanche ne sont pas étrangers au lecteur de Matthieu, surtout à ce stade de sa lecture. Le lecteur les aura déjà entendus à plusieurs reprises. La différence ici, est qu’il se sert des scribes et des pharisiens comme « prototypes de l’exemple à ne pas suivre ». Pratiquer soi-même ce que l’on prêche aux autres, cultiver intérieurement sa foi en Dieu au lieu d’en afficher un semblant ostentatoire, ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes et les titres honorifiques… Ce sont là des appels à la vérité et à l’humilité à partir desquels l’Église, en ses responsables, doit exercer un perpétuel examen de conscience.
Avant Jésus, C’est Malachie qui lançait presque les mêmes avertissements aux autorités religieuses et à tout le peuple entier dans la Première lecture. Aux premiers, le prophète dit : Vous ne pensez qu’à vous, vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon Nom, de respecter mes lois. La Loi, qui devait « édifier » le peuple de Dieu, vous en avez fait une occasion de chute pour la multitude. Les gens sont désorientés. Vous avez perverti mon Alliance. Vous avez agi avec partialité en accommodant la Loi à vos intérêts. Je maudirai vos bénédictions et vos belles paroles faussement pieuses. Au second, c’est-à-dire au peuple de Dieu tout entier, le prophète invite à la conversion parce que tous se conduisent mal. Les uns trahissent les autres alors que « Dieu est père de tous ».
« Dieu Père de tous » comme le dit Malachie, est un principe fondamental de notre être chrétien de vivre ensemble comme frères et sœurs d’une même famille. Tout ministre de Dieu doit s’en inspirer auquel cas son enseignement deviendrait purement mondain. Jésus ne rejette ni ne récuse la valeur de l’enseignement des scribes et des pharisiens et même des prêtres. Mais il avertit du danger de faire de cette position, une position de pouvoir, d’abus de confiance et d’accumulation. La valeur de toute autorité tient à sa capacité à se proposer comme modèle à suivre. Ici, « dire et faire » doivent aller de pair pour faire croître Dieu dans les cœurs. Toute tendance à l’hypocrisie ou à l’orgueil ou tout autre comportement contraire à la mise en pratique de la justice, la miséricorde… (Mt 23,23) étouffe la vérité divine et le bien, occasionnant la chute de la multitude. Dieu n’est plus servi. On se sert de Lui pour ses intérêts… Scribes et pharisiens sont séparés du peuple au lieu d’en faire corps avec et de se sentir tout aussi concernés par les exigences d’une vie spirituelle de conversion. La relation du disciple du Christ ou du chrétien avec les hommes doit être pensé à partir de sa relation par rapport au Christ et à Dieu. Jésus veut que ses disciples se comportent comme « Père », « Maître » ou « rabbi » non pour eux-mêmes, mais pour le service en lien avec Lui le Christ, l’unique Maître et Dieu, l’unique Père.
Que la Parole de Dieu soit à l’œuvre en nous tous, efficace comme elle l’a été en Paul et en ses chers Thessaloniciens, formant ensemble une communauté idéale. Amen.
Abbé Justin O. OSSE