HOMELIE DU 5EME DIMANCHE DE CAREME / ANNEE C

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Chers frères et sœurs dans le Christ, chers amis bonjour !

    Ce matin, le Père Albert OGOUGBE, vice-recteur de cette maison m’a demandé le service de la liturgie et j’ai accepté spontanément. Mais lorsque j’acceptais, je ne connaissais pas les textes et puis quand j’ai su que c’était un Evangile aussi coriace, je me suis demandé : qu’est-ce que je vais pouvoir dire de nouveau aux philosophes sur cet Evangile qu’ils connaissent déjà ? Mais je compte sur la grâce de l’Esprit, qui met toujours dans notre cœur les paroles qu’il faut pour son peuple.

    D’entrée, je dois dire que cette scène du pardon accordé par le Seigneur à la femme adultère s’inscrit dans ce Temps de Carême comme étant un pic miséricordieux vers lequel tous nos regards devront se tourner. Le geste d’amour du Seigneur qui ne juge pas, qui ne condamne pas, est un geste qui loin de dépénaliser l’adultère, loin de banaliser l’adultère, loin de légaliser l’adultère, est un geste qui permet de renouveler l’homme et la femme, de les recueillir et de leur permettre de se redécouvrir appelés à une autre vie. C’est donc cet appel à une autre vie qui nous interpelle à travers les textes de ce dimanche, en particulier l’Evangile : l’appel à une autre vie. Pour ma part, l’adultère et sa condamnation violente constituent un acte qui condamne la personne à cette même vie et qui n’ouvre pas la personne à une autre vie, à une vie meilleure. Dans la société française que je connais un peu, la polygamie est exclue par la loi et l’adultère est une faute grave sanctionnée par la loi et qui peut conduire directement au divorce. Plus loin dans les sociétés anciennes comme ce fut le cas au temps de Jésus, l’adultère que ça soit la femme, est lapidée, battue, tuée ; et quelquefois l’homme adultère avec qui elle a commis la faute est flagellé, battu et tué. C’est pour vous dire, à quel point, dans le cercle vicieux de l’adultère, ces juges et ces sanhédrins condamnent à cette même mauvaise vie, par l’exécution d’une sentence et d’une peine effroyable, les personnes qui ont commis l’adultère. Mais sans jamais les ouvrir à une autre vie, à une vie meilleure. Jésus, vrai Dieu et vrai Homme, sans péché et rédempteur, ose ouvrir ces personnes à une autre vie. Ce qui est pour nous un acte théologal, ce qui est pour la foi chrétienne et pour l’humanité un dépassement gratuit du Seigneur. Jésus qui pardonne tout court, a fait déjà objet de scandale chez les juifs. Comment un homme peut-il pardonner les péchés ?

    Mais Jésus va plus loin ce matin, en pardonnant l’impardonnable dans la culture juive. Pour comprendre le pardon offert par Jésus, il faudrait tenir compte de ce qu’est l’homme anthropologiquement dans sa chair, dans ses réalités qui constituent des pesanteurs qui tirent l’homme ou la femme toujours vers le bas. Et je dois donc souligner ici que ce n’est pas que la femme qui doit être appelée à la fidélité, l’homme aussi est appelé à la fidélité. Dans le cosmos au cœur duquel l’homme émerge de sa tradition, de sa culture, il est au carrefour du bien et du mal, au carrefour du mensonge et de la vérité, au carrefour des efforts à faire et au carrefour de toutes les négligences, de toutes les commodités, de tous les plaisirs. Est-ce que notre culture et les vents contemporains actuels participent de la vertu ? Est-ce que les cercles d’amis, les agoras sociétales participent de la vertu ?

    Dans notre formation catéchétique et pastorale reçue, quels sont les ressorts qui devraient nous aider à lutter contre le péché et à embrasser résolument la vertu ? Comprenez donc, chers frères et sœurs, chers amis, qu’embrasser la vertu, être fidèle évangéliquement à sa foi chrétienne est difficile. C’est un chemin de croix. Et voilà-là la quintessence et le noyau de la foi chrétienne. Une foi vécue intérieurement, une foi de vertu, une foi d’engagement vécue de l’intérieur, sans pour autant avoir un sanhédrin qui nous juge et qui nous condamne.

    Dans cette scène où la femme adultère se retrouve nez à nez avec Jésus après la fuite au galop des plus anciens jusqu’au plus jeunes, on découvre là comment dans la foi nous nous tenons devant Dieu, sans intermédiaire, sans sanhédrin, sans juge, sans tribunal. Dans ce cœur à cœur avec Dieu, Dieu nous replonge, comme nous le dit la deuxième lecture, dans ce qui fait notre salut et notre foi. Il s’agit de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en nous sa mort, dans l’espoir de parvenir nous aussi à ressusciter d’entre les morts. Chaque fois que nous sommes confrontés au péché et que nous sommes appelés à une autre vie, nous devrons mourir à nous-même. Ce ne sont pas les morts infligées par la société, par les « qu’en dira-t-on », ce ne sont pas les morts infligées par les tribunaux  existentiels, ce ne sont pas les morts infligées par les autres qui vont nous permettre de ressusciter. C’est la mort à nous-même, c’est la mort à notre égo, c’est la mort et le reniement de nous-même, c’est la mort à nous-même  qui nous permet de lutter contre le péché, de lutter contre nous-même.

    Est-ce que vous avez ressenti chers amis, chers frères et sœurs,  la douleur en tournant dos à ce que vous désirez faire, en tournant dos à ce qui vous brûle les mains, à ce qui vous brûle au fond de vous ? Est-ce que vous êtes capable de mourir à vous-même et de parvenir à la communion avec le Christ, parce que vous refusez de pactiser avec le péché ?

    Vous irez très prochainement dans vos bases, et vous ferez encore l’expérience d’être confronté à la réalité. Et quand on est confronté à une certaine réalité, au lieu de souffrir à cause du péché commis, on choisit, plutôt, de souffrir parce qu’on ne veut pas commettre le péché, il y a une bonne souffrance liée au refus de ne pas pécher. Ne pas vouloir commettre le péché et en souffrir, résister et souffrir participent de la souffrance du Christ Lui-même. Et en cela, personne ne peut nous aider à parvenir à cette mort personnelle. C’est à cette mystique que le Seigneur invite la femme adultère : Mourir à soi-même. Mourir à soi-même dans un examen de conscience, dans un travail profond réalisé sur soi-même, sans attendre les jugements des autres. Un jour viendra, chers amis, et vous ne serez plus dans cette maison de formation. Il n’y aura plus le recteur derrière vous – et même je crois que le recteur n’est derrière personne -, il n’y aura pas de formateurs derrière vous. Vous serez livrés à vous-mêmes, mais attention ! Comme prêtre, au fond, on n’est jamais livré à soi-même. Car certaines situations feront que vous vous mettrez en situations difficiles ; ceux qui jugent les personnes en situations difficiles vous jugeront. Et donc, pour ne pas en arriver là, je vous propose la mort à soi-même, la mort de tout ce qui détruit en nous, ce qui nous entraine vers le bas et qui nous bloque dans notre élan vers le haut.

    Demandons au Seigneur deux choses.

    Demandons-lui de nous donner la grâce de l’endurance. Résister, oui ! Mais surtout durer dans la résistance, être endurant dans la résistance. Mais pour ce faire, c’est refuser délibérément de voir, de regarder. Pour ce faire, c’est refuser délibérément d’y aller, c’est refuser délibérément de pactiser avec le mal. Les renoncements faits au baptême – quand on est enfant, les adultes parrains et marraines et parents, le font en notre nom -c’est maintenant qu’ils doivent être activés en nous. Et c’est de  l’endurance que d’activer tous ces renoncements en nous. Vous allez souffrir, mais c’est une souffrance qui participe véritablement de la communion avec le Christ qui a souffert la passion pour nous et qui est ressuscité. Vous allez vous le demander : mais, qu’est-ce que cela me coûte de le faire ? Surtout personne n’est là, personne ne me voit ! J’ai tout planifié ! Mais pourtant le Seigneur t’invite à y renoncer, à souffrir de ce renoncement au lieu de souffrir d’une souffrance coupable.

    Notre deuxième prière  : Jésus, nous te demandons la grâce de la clairvoyance, la grâce de la lucidité. Lucidité sur nous-même. Lucidité sur nos faiblesses. Lucidité sur nos incapacités. Lucidité sur nos mirages. Lucidité sur ce que nous ne sommes pas. Lucidité sur ce que nous sommes réellement et que nous savons et que les formateurs ne savent pas. Lucidité sur ce que nous n’avons jamais pu dire ou confier au directeur spirituel mais que nous savons. Lucidité sur ce que nous sommes au plus profond de nous-même et que nous n’osons pas dire à Jésus. Et donc lorsqu’ on est lucide spirituellement, c’est un pas vers la conversion, c’est un pas vers Dieu. Oui ! Quand on est lucide, c’est qu’on a pris soi-même la résolution de ne pas se jeter en pâture, pour être jugé publiquement, pour être jugé par le sanhédrin. On a pris lucidement la résolution de faire chaque soir son examen de conscience et de mourir à soi-même.

    Que le Seigneur vous en donne la grâce, qu’il m’en donne à moi-même, votre humble serviteur, la grâce, car nous sommes tous en chemin, nous sommes tous, disciples, fils et filles du Seigneur.

Père Arnaud Eric AGUENOUNON

 

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