Homélie du 7ème Dimanche du Temps ordinaire / Année liturgique C.

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Révérend Père Antoine MASSESSI,

Révérendes sœurs

Et vous chers séminaristes, bonjour !

Bien-aimés du Seigneur, vous qui venez nous accompagner chaque dimanche, bon dimanche à vous !

    « Donnez, et vous recevrez : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier »[1]. Autrefois, dans un passé récent, quand nous allions au marché, une mesure de gari, je crois qu’avec grande générosité, la vendeuse nous servait une mesure bien pleine, tassée, secouée et débordante. Et nous repartions joyeux, nous repartions satisfait d’avoir déboursé quelques pièces pour avoir en retour cette denrée rare qu’est le gari et qui entretient le chemin du modeste et aussi le chemin du riche.

    Chers frères, les textes de ce dimanche tournent notre regard vers un concept clé : le concept de l’ennemi. Ce concept de l’ennemi, que Jésus développe, trouve sa conclusion dans cette belle image de la mesure bien pleine, tassée, secouée et débordante. C’est pour dire que de l’ennemi, nous pouvions et nous pouvons aller à une réconciliation qui porte ses fruits, des fruits qui remplissent une bassine pour qu’elle soit pleine, tassée, secouée et débordante.

    Le dimanche dernier, nous avions eu, toujours en Luc, chapitre 6, l’épisode qui nous a donné la lumière sur les Béatitudes. Avant cet épisode, un peu plus loin, nous avons le choix des disciples et l’élection des apôtres. Et donc, juste après l’élection des apôtres, le choix des disciples, Jésus s’est trouvé avec une grande foule et il s’est mis à les instruire, à les instruire d’abord de façon poétique. Le discours poétique est un discours éthique qui s’accompagne après, juste après, de déclinaisons pratiques. Le discours éthique appelle toujours un discours plus pratique. Et voilà ce matin, nous avons un discours très pratique sur la question de l’ennemi. S’il nous est donné de chercher la définition du concept ennemi, nous allons trouver une définition en deux dimensions. La dimension intérieure constitue les adversités, les ressentis, ce que l’ennemi ressent sans passer à l’action. C’est la première dimension, la dimension de l’adversité, de l’aversion sans passer à l’acte. La deuxième dimension de ce concept est la dimension du combat, de la lutte, c’est à dire lorsque l’ennemi passe à l’attaque, quand il commence par attaquer. Dans une première scène avec un ennemi, l’ennemi peut simplement insulter, il peut provoquer mais sans passer à l’attaque. En matière de Droit International Public, dans les cercles où on parle des armes nucléaires, il existe la dissuasion nucléaire. Les grandes puissances qui ont l’arme nucléaire font semblant de l’utiliser pour asseoir leur autorité en faisant peur. Voilà, par exemple, la scène à laquelle le monde assiste actuellement en Ukraine.

    Le Seigneur nous donne un discours pratique sur le concept de l’ennemi. Dans son développement, on retrouve exactement ces deux grandes dimensions sus-citées. Et, en la matière, cette péricope lucanienne est très riche, très bien articulée. D’abord, nous avons une partie sur les aversions. « Aimez vos ennemis. Faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent ». Après, une petite partie sur les attaques. «  Quand on vous frappe, quand on prend votre manteau ». Ensuite, une répétition : « Aimez vos ennemis. Faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour » ; et juste après la conséquence, la récompense qui est une récompense identitaire : « fils du Très-Haut ». Et donc, en tant que fils du Très-Haut, nous sommes appelés à une posture conséquente, une posture de paix, de pardon et de miséricorde.

    Chers amis, on peut donc se demander : Qui sont nos ennemis ? Comment sont-ils devenus nos ennemis ? Il y a des ennemis héréditaires. Il y a des ennemis traditionnels, des peuples qui sont ennemis par tradition, par génération, des ethnies qui ne s’entendent jamais et qui sont irréconciliables. Il y a des ennemis publics qui sont des gangsters, des voleurs. Mais, il y a l’ennemi tout court, celui qui s’oppose à nous par intérêt, par défiance ou celui qui s’oppose à nous simplement par ignominie. Mais, comment nous nous présentons en face de cet ennemi ? Quelle est notre posture ? De quelle manière nous nous situons ? Comment nous nous sentons ? Est-ce que nous-mêmes, nous nous nourrissons et nous entretenons cette guéguerre ou bien nous sommes artisans de paix ? La première chose et la première attitude à laquelle Jésus nous invite est une attitude de dignité. Cette attitude nécessite que nous soyons effectivement dignes. Celui qui est digne, c’est celui qui ne répond pas à la violence par la violence. Celui qui ne répond pas à l’insulte par l’insulte. Celui qui ne répond pas au mensonge par le mensonge. Mais, celui qui se situe, en toute humilité, devant ces réalités-là comme étant celui qui travaille à être juste, à être équilibré, vrai et sincère. Qu’est-ce qui fait que l’ennemi s’appuie sur une colère pour davantage se braquer ? C’est peut-être à cause d’un défaut qui nous caractérise ; c’est certainement quelque chose que nous avons fait de mal ; nous avons sans doute offensé le prochain sans jamais le reconnaître, sans jamais s’en apercevoir. Et vous savez, les ennemis, nous en avons partout et en tout temps.

    Plus nous faisons attention à nous-mêmes, plus nous travaillons sur nous-mêmes, nous arrivons à gagner ennemi par ennemi pour qu’ils deviennent des camarades. Mais, quand nous nous fermons sur nous-mêmes par orgueil, par suffisance, nous créons davantage d’ennemis. Quand nous vivons dans une tour dorée, dans l’opulence, dans une richesse démesurée, au cœur d’un pouvoir qui tend ses tentacules et qui ne laisse d’espace de liberté, d’expression à personne, nous créons des ennemis. Regardons autour de nous quand on parle de rébellion armée, quand on parle de tentatives de coup d’état, comme nous entendons ces derniers temps, c’est justement parce que des personnes n’ont pas laissé d’espace de liberté aux autres. Mais être digne, c’est laisser de l’espace aux autres, c’est laisser de l’espace d’expression, l’espace de vie aux autres. Et Jésus nous invite à une humilité qui est sobriété, humilité comme sobriété. L’humilité peut s’enfermer parfois dans la fierté personnelle. L’humilité peut s’enfermer parfois dans une haute estime de soi-même tout en respectant les autres. Mais, lorsque l’humilité est celle du Christ, elle est forcément sobriété, parce que dans le Christianisme, fondé sur la Résurrection, il y a un ADN puissant qui est l’amour de l’ennemi. Jésus, Lui-même, qui a souffert sa Passion, qui a été crucifié, offre, à la Résurrection un salut à tout le monde, surtout à ses ennemis. À ses amis qui l’ont trahi, Il leur a dit : « La paix soit avec vous »[2].Cette humilité du Christ est une sobriété parce que le Christ se donne de Lui-même, il donne de son temps, il donne de son être. Il nous partage sa divinité pour que nous-mêmes, nous soyons fils et filles de Dieu, pour que nous ayons part au même héritage que Lui. Mais comment réaliser cette humilité-sobriété sans pardonner, sans faire miséricorde ?

    Nous avons des traditions dans lesquels (et on peut énumérer les noms qui ont la substance kìn : il y en a beaucoup). Et nous sommes appelés, nous, prêtres, nous, futurs prêtres, à faire un diagnostic dans nos cultures, à toucher les racines de la rancœur, de la haine en vue de semer des graines de paix, de pardon et de miséricorde. C’est essentiel que le Christ, Lumière des nations, Lui, qui est le Dieu par excellence nous imposant l’amour de l’ennemi (d’autres dieux ne l’imposent pas -dans plusieurs cultures on prône la mort de l’ennemi- on prône le combat contre l’ennemi) nous illumine. Et cette lumière doit toucher nos familles et nos racines anthropologiques. Et nous devons être des apôtres de cette nouvelle théologie que le Christ, dans sa Résurrection, inaugure pour que, Ressuscité, Il nous appelle, chaque jour, et nous invite à sa suite par le baptême, par le sacerdoce ministériel. Qu’Il nous donne la grâce, véritablement, de ne pas être prêtre pour nous seul. Et c’est cela que le Pape François, tout dernièrement quand il inaugurait le Symposium sur le Sacerdoce à Rome, affirmait en disant que le prêtre est au cœur du peuple. Le prêtre par son ministère doit toucher son peuple, doit raviver la flamme de l’amour, de la paix que Dieu allume et espère allumer toujours au sein de son peuple. Et donc, le prêtre n’est pas un homme isolé du peuple, qui est au-dessus du peuple. Il est tiré du peuple et est encore au service du peuple en étant dans le peuple. Et quand il est dans le peuple, il ne peut que semer des graines de paix, de miséricorde. Que le Seigneur, Lui-même, qui nous a appelés et qui nous invite à Le suivre, qu’Il nous donne la grâce de lutter contre nous-mêmes. Sans lutter contre nous-mêmes, nous ne pouvons pas avancer. Jacques Bénigne Bossuet, né à Dijon en 1627 et mort à Paris en 1704, nous dit que : «  Nos vrais ennemis sont en nous-mêmes ». Nos vrais ennemis sont en nous-mêmes… Bien des fois, nous sommes ennemis de nous-mêmes, ennemi de notre propre vocation, ennemi contre notre propre sainteté, ennemi contre notre propre croissance spirituelle, morale, etc.

    Que le Seigneur nous donne la grâce de lutter chaque jour contre cet ennemi intérieur !      Amen !

Père Arnaud Eric AGUENOUNON

[1] Luc 6, 38.

[2] Luc 24, 36.

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